mardi 13 mai 2008


photo: Anaïs Gerbaud

Photo: Anaïs Gerbaud

Paradoxes

Jeudi 8 mai (14h30)

Début du spectacle, on est tout de suite mis dans l'ambiance. Si on n'a rien lu sur ce qu'on va voir, on sait bientôt que c'est l'usine et non un lieu de vie qui est mis en scène. Ici on ne vit pas, on tue. Les bêtes meurent, les hommes survivent, résistent.
Dès la première seconde l'ambiance est là. Atmosphère pesante, lourde, met mal à l'aise. On est oppressé par la respiration amplifiée des personnages, leur souffle pesant. Un souffle de vie muet mais qui hurle la monstruosité de l'abattoir.
Depuis la dernière fois des bruits d'usine, grinçants et effrayants ont été rajoutés. Ils amplifient encore la violence du spectacle.
Beauté plastique, photographies à saisir dans l'instant, dans la dynamique des mouvements des comédiens, dans la fluidité du texte… Cassants, saccadés, les mots sont pourtant douloureux, la vie à l'usine est routine mais chaque mot il faut le sortir, en exorciser la souffrance, le prononcer. Comme chaque mouvement de la chaîne d'abattage le mot est dur, répétitif mais pénible. Chaque fois il est plus difficile. Alors parfois il faut aller au-delà du monocorde, parfois on ne peut retenir le trop-plein, rester un robot, "des bras et des jambes", et alors on se révolte, on explose, on se vide, on passe de l'autre côté, "du côté des ouvrières"… Alors on craque, comme les corps et les articulations, qui n'en pouvant plus de subir, craquent aussi.
Le travail de comédien est incroyable: une parole, des mouvements étrangers au départ sont si bien intégrés dans les membres et dans la bouche qu'ils sortent naturellement, sans effort. On ne voit que les personnages.
Lorsqu'Anne Théron fait travailler les saluts, elle insiste sur les faisceaux, le rectiligne, le cadre mécanique, industriel à tenir jusqu'au bout. L'usine c'est ça: des machines, des hommes-machines qui résistent et finissent par redevenir humains, dans la douleur. A l'abattoir même les bêtes crient, gueulent pour ne pas devenir de simples objets, pour que les hommes ne se transforment pas en machines à tuer.
Paradoxes… A mi-chemin entre bestialité et humanité, transgression de la condition,
transgression entre la vie et la mort, agression de la chair…
Paradoxes, entre la folie des cadences, la vitesse toujours accentuée des mouvements et de la lenteur du jeu et des corps mus. Comme s'il fallait mettre cette vie au ralenti pour la saisir vraiment dans son horreur…
Paradoxes entre la douleur et la gaieté des musiques choisies… Ironie ou exutoire?

Auteur-témoin: Anaïs Gerbaud