mardi 22 avril 2008

C'est ça qu'est terrible avec les adultes...

...c'est de voir à quel point c'est des enfants qui ont arrêté. Arrêté de dessiner, arrêté d'écrire, arrêté de chanter, arrêté de jouer, arrêté de regarder, arrêté d'associer, arrêté tout...

Le problème, c'est la famille. L'organisation sociale fondée sur la famille. Le mariage. Au lieu de l'individu. Et l'hétérosexualité comme régime politique, comme dit Monique Wittig.

Bon, un peu d'histoire. Dans l'ancienne société, la société de castes, fondée sur la naissance, la société aristocratique, féodale, royale, etc. il y avait, quoi? 98% de paysans. Une bourgeoisie minime. Une aristocratie double, guerrière, liée au corps, et civile, de robe, de parole, les scribes nécessaires pour faire marcher une petite machine d'État, et qui, bon, sont coupables de l'univers ignoble dans lequel nous nous trouvons, puisque ce sont eux qui ont fait prévaloir le discours sur le réel, l'esprit sur le corps, etc.

L'ancien régime était un cauchemar, mais c'était un cauchemar physique. Après ça, c'est le 19e siècle, construit sur l'utilisation de ce qu'on va appeler la classe ouvrière, c'est vraiment le siècle de l'immoralité, de l'homme (vu comme) moyen et pas fin. Et les moyens, on les met puisque l'Occident se recouvre d'usines et de cités ouvrières où tout est fliqué, moralisé, administré. Bon.
Dans ces conditions, le nazisme et les années 50 peuvent et doivent être analysés comme le double aboutissement du rêve de civilisation de la bourgeoisie chrétienne européenne. Dans le nazisme, il s'agit d'un côté, de maintenir la masse dans l'ignorance, puisque telle est la condition du pouvoir sur elle, et de l'autre, de créer une sur-classe, sur-humaine. Alors ça, évidemment la bourgeoisie du 19` siècle ne s'y était pas tellement collée, vu qu'elle avait préféré cultiver son gros bide que de créer une surhumanité sportive, sauf en ce qui concerne la bourgeoisie anglaise, mais la bourgeoisie anglaise a des liens très particuliers avec l'aristocratie qui lui a légué une culture de la guerre remodelée sous forme de culture du sport.

Bon, bref, on s'en fout. Tout ça pour dire que, bon, les années 50, c'est aussi le nazisme, c'est un ordre policier et totalitaire, un ordre moral, c'est-à-dire que tout le monde est bien sage, à l'école, à l'usine, au bureau, à la messe, le dimanche, et que rien, rien ne bouge. Les fous, on les enferme, et comme ça, on n'a pas de problème.

Guillaume Dustan
extrait de Génie Divin, 2001

POURQUOI DONC J'AI POSTE CE TEXTE?

Je me suis posé cette question quelques jours après l'avoir mis, alors je dois retrouver le lien obscur qui pendant un instant a éclairé mon esprit pour que je le mette en rapport avec le spectacle de Steven Cohen, DANCING INSIDE OUT.

C'est la rencontre avec cet écrivain, Guillaume Dustan, qui m'a fait penser au travail de Steven Cohen. Tous deux sont replacent leur homosexualité dans une lutte politique. Tous deux considèrent leur intimité comme politique. Tous deux recherchent l'anti-conformisme et la provocation, pour faire avancer les idées.
Venant de Wharhol, de Duras, de Céline, Guillaume Dustan a expérimenté et inventé des formes où littérature et vie s'entremêlent.

Merde à la dictature du Vrai Roman, dans sa version de droite (classique avec un héros jeune et beau), ou de gauche (expérimental avec des chaises), analogon dans le ciel des idées de la dictature hétérosexuelle réelle. (...) Moi aussi j'avais essayé de faire de la Vraie littérature. Echec total. Alors que je n'arrivais pas à comprendre ma propre vie, comment est-ce que je pouvais passer mon temps à raconter celle de gens que je ne connaissais même pas.
Guillaume Dustan, Nicolas Pages.

Myriam Prévost

Personnalités kaléidoscopiques

"Le métissage des arts est aujourd’hui largement répandu, voire généralisé. Il devient une source de créativité, et d’une certaine façon l’essence de cette exposition contemporaine des corps. […]

Il nous est apparu que les créations contemporaines donnent à voir « l’inquiétante étrangeté » des corps, quelque chose de l’ordre de la barbarie, c’est-à-dire ce qui stigmatise notre peur de l’Autre, le différent, l’étranger, le monstrueux.

En effet, la spécificité de cette gestuelle contemporaine consiste à dévoiler plusieurs univers dans un même corps et reformule à sa façon cette grande question : comment ces êtres « barbares-inarticulés » que nous sommes, dans une tentative souvent dérisoire, s’emploient-ils à reconquérir leur unité perdue ? Les mises en scène des corps jouent avec les différences morphologiques en perturbant nos attentes quand à l’apparence : elles orchestrent l’altérité radicale, ce qui me coupe de l’Autre, ce qui le rend étrange et donc étranger.

La création artistique renvoie l’artiste à une mise en abîme et apparaît alors en scène une tentative de définition d’une identité complexe. Prenons comme exemple la démarche des circassiennes contemporaines : celles-ci questionnent et récusent la définition « traditionnelle » de la femme et de son rapport au masculin, ce qui en fait leur motif principal d’engagement artistique. […]

Le cirque traditionnel donne à voir des corps hypersexualisés, comme ceux des artistes femmes dans les spectacles d’Arlette Gruss : elles portent talons hauts, string et adoptent une posture toujours identique valorisant leur plastique. […]

Dans le cirque contemporain, par contre, la complexification de la construction de l’identité féminine se manifeste par l’émergence de nouvelles formes issues d’un métissage des genres masculin et féminin : l’androgyne et l’hermaphrodite. […]

Les productions de cirque « contemporain » donnent donc à voir des corps différents, des corps débordants, reflets de personnalités kaléidoscopiques. […]

Le cirque contemporain, créateur d’images nouvelles devient le théâtre d’expressions personnelles, où les circassiennes s’émancipent de l’ordre institué et transmis dans le cirque traditionnel, questionnant et récusant une définition univoque de la féminité et de son rapport au masculin.

De même, en danse contemporaine, le corps convoqué n’obéit plus à l’injonction d’un corps classique idéal, maîtrisé et triomphant, sorte de marionnette virtuose, mais il se fait l’écho de nos interrogations contemporaines sur le masculin-féminin, les souffrances de la sexualité, la vie/la mort, le sérieux et la drôlerie, l’indifférence et la différence.

La danse contemporaine fait varier nos mises en scène identitaires en autorisant l’expression des valeurs antagonistes qui nous fondent. Le danseur peut alors expérimenter l’Autre en soi en fouillant dans la « pluralité de ses masques » (Caillois R., 1950) pour mettre en scène l’ambiguïté et la pluralité des êtres qui nous habitent : l’androgyne (être ni homme ni femme), l’hermaphrodite (être homme et femme à la fois), le monstre (mi-homme, mi-bête), le démoniaque (mi-dieu, mi-homme). "

Betty Lefèvre et Magali Sizorn
Métissages dans les productions circassiennes et chorégraphiques contemporaines (Extrait)

texte en entier disponible ici