mardi 22 avril 2008

Personnalités kaléidoscopiques

"Le métissage des arts est aujourd’hui largement répandu, voire généralisé. Il devient une source de créativité, et d’une certaine façon l’essence de cette exposition contemporaine des corps. […]

Il nous est apparu que les créations contemporaines donnent à voir « l’inquiétante étrangeté » des corps, quelque chose de l’ordre de la barbarie, c’est-à-dire ce qui stigmatise notre peur de l’Autre, le différent, l’étranger, le monstrueux.

En effet, la spécificité de cette gestuelle contemporaine consiste à dévoiler plusieurs univers dans un même corps et reformule à sa façon cette grande question : comment ces êtres « barbares-inarticulés » que nous sommes, dans une tentative souvent dérisoire, s’emploient-ils à reconquérir leur unité perdue ? Les mises en scène des corps jouent avec les différences morphologiques en perturbant nos attentes quand à l’apparence : elles orchestrent l’altérité radicale, ce qui me coupe de l’Autre, ce qui le rend étrange et donc étranger.

La création artistique renvoie l’artiste à une mise en abîme et apparaît alors en scène une tentative de définition d’une identité complexe. Prenons comme exemple la démarche des circassiennes contemporaines : celles-ci questionnent et récusent la définition « traditionnelle » de la femme et de son rapport au masculin, ce qui en fait leur motif principal d’engagement artistique. […]

Le cirque traditionnel donne à voir des corps hypersexualisés, comme ceux des artistes femmes dans les spectacles d’Arlette Gruss : elles portent talons hauts, string et adoptent une posture toujours identique valorisant leur plastique. […]

Dans le cirque contemporain, par contre, la complexification de la construction de l’identité féminine se manifeste par l’émergence de nouvelles formes issues d’un métissage des genres masculin et féminin : l’androgyne et l’hermaphrodite. […]

Les productions de cirque « contemporain » donnent donc à voir des corps différents, des corps débordants, reflets de personnalités kaléidoscopiques. […]

Le cirque contemporain, créateur d’images nouvelles devient le théâtre d’expressions personnelles, où les circassiennes s’émancipent de l’ordre institué et transmis dans le cirque traditionnel, questionnant et récusant une définition univoque de la féminité et de son rapport au masculin.

De même, en danse contemporaine, le corps convoqué n’obéit plus à l’injonction d’un corps classique idéal, maîtrisé et triomphant, sorte de marionnette virtuose, mais il se fait l’écho de nos interrogations contemporaines sur le masculin-féminin, les souffrances de la sexualité, la vie/la mort, le sérieux et la drôlerie, l’indifférence et la différence.

La danse contemporaine fait varier nos mises en scène identitaires en autorisant l’expression des valeurs antagonistes qui nous fondent. Le danseur peut alors expérimenter l’Autre en soi en fouillant dans la « pluralité de ses masques » (Caillois R., 1950) pour mettre en scène l’ambiguïté et la pluralité des êtres qui nous habitent : l’androgyne (être ni homme ni femme), l’hermaphrodite (être homme et femme à la fois), le monstre (mi-homme, mi-bête), le démoniaque (mi-dieu, mi-homme). "

Betty Lefèvre et Magali Sizorn
Métissages dans les productions circassiennes et chorégraphiques contemporaines (Extrait)

texte en entier disponible ici

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