jeudi 28 février 2008

Saisi au ventre















Auteur-témoin: Emmanuelle Baud

Je suis arrivée, ce 22 février à Beaulieu, avec plein de matériel et aucune attente. Je me suis assise. Le travail était en cours. J'ai regardé puis très vite j'ai décidé de faire des photos et du son; Je suis restée jusqu'au bout sans voir le temps passer. j'ai enregistré l'ambiance , les chuchotements, les rires, les filages, les commentaires d'Anne vers les interprètes, les techniciens, les indications de Claire...un montage suivra. J'ai photographié aussi. Quelles images peuvent rendre compte d'une création en cours? celles du plateau? celles de la salle? Comment dire un processus en cours avec un médium qui fige l'action, le mouvement? Quand le sujet bouge la photo est floue; ce fut le cas de beaucoup des miennes. Je ne voulais pas de flash. Trop intrusif; alors les visages se brouillent, le mouvement devient trace. Les photos ci-dessus témoignent de cette alternance entre cliché documentaire, approche plastique, mise en scène du temps.
Ce qui est remarquable dans cette manière qu'ont de travailler Anne et Claire c'est qu'en 4 jours, elles font que le spectacle existe déjà.
On est déjà "saisi" non par la main, mais au ventre.
Eh puis je suis sensible à la forte plasticité du dispositif qui ouvre vers des "images" étonnement belles, sans être décoratives.
Vivement la prochaine session.

mardi 26 février 2008

Luc Ferrari

Pour écouter, c'est tout en bas

né en 1929, mort en 2005. Ferrari était un compositeur français de musique contemporaine.

Pour cerner le personnage, voici quelques extraits intéressants trouvés dans une biographie:

Il s'interroge sur cette première phrase ; d'abord 1929. Il a écrit de nombreuses autobiographies dans lesquelles il falsifiait les dates. L'écriture le rend fou, il ne faut pas lui demander ça. Et comme il n'osait pas se rajeunir il se vieillissait. Il y a donc des tas de fausses dates qui courent, cela l'amusait à l'époque. Maintenant ça l'amuse beaucoup moins ! Ensuite, né à Paris. Il s'interroge : être né à Paris ! Il se demande ce qu'il aurait été s'il était né dans le petit village de son père, en Corse. Il se demande ce qu'il aurait été s'il était né à Marseille, la ville de sa mère. Il se demande ce qu'il aurait été s'il était né en Italie, le pays de ses ancêtres. Et pour cela, il n'a aucune réponse.

Luc Ferrari a réalisé des travaux qui s'écartent plus ou moins des préoccupations musicales pures, et dont certains font appel à une rencontre entre branches diverses de ce qui pourrait être un même arbre, le problème étant d'essayer d'exprimer, à travers des moyens différents, des idées, des sensations, des intuitions qui passent ; d'observer le quotidien dans toutes ses réalités, qu'elles soient sociales, psychologiques ou sentimentales. Ceci pouvant s'extérioriser sous forme de textes, d'écritures instrumentales, de compositions électroacoustiques, de reportages, de films, de spectacles, etc...

Une interview, réalisée en 1998, extraits:

Que faisiez vous pendant les événements de mai 1968? Vous participiez?
J'enregistrais un peu! (Rires) J'allais dans les discussions. Je ne manifestais pas parce que je n'aime pas la violence. Les gens qui jettent des cailloux d'un côté sur d'autres qui jettent des grenades lacrymogènes, ça me plaît pas trop, alors j'étais un petit peu en dehors. Mais j'assistais aux choses, de loin.

Pensiez-vous que ça allait changer la réception de la musique contemporaine?
Musicalement, est-ce que ça a changé des choses..? (Pause) Je pense que notre génération a précédé ce mouvement-là. Il n'est pas né tout seul–il est né d'une réflexion sociale/politique/philosophique que nous avions faites, nous. Cet espèce de désir fantastique de liberté s'exprimait déjà dans nos partitions avant, cette idée de casser les choses institutionnelles, de sortir des registres esthétiques donnés des choses conçues "pour être comme ça et pas autrement"… En fait, pour sortir des lois. Donc 68 a bénéficié de notre action.

"Music Promenade", avec ses bribes de discours politiques, de manifestations me semble être une sorte de commentaire sur cette époque. L'avez-vous conçu comme ça?
C'est un panorama de la société. L'idée du morceau est venue du fait que très tôt au sein de la musique concrète j'ai été un des premiers à prendre le magnétophone et à le sortir du studio, à me balader avec, à proposer l'usage de son enregistré à l'extérieur du studio, c'est à dire les sons de la vie. J'avais un Nagra, un de premiers appareils portables. J'ai commencé à récolter des sons sans avoir d'idée préconçue là-dedans, mais simplement la volonté d'introduire dans le discours musical un son qui à l'origine ne l'était pas. Comme je disais toute à l'heure, la musique concrète était basée sur une abstractisation [sic] du son, on ne voulait plus connaître l'origine, la causalité.. tandis que là je voulais qu'on reconnaisse la causalité, s'il s'agissait du bruit de la circulation c'était pas pour faire la musique mais c'était pour dire: ça c'est le bruit de la circulation. (Rires) Probablement l'influence de Cage. A l'époque je faisais partie d'une équipe de tournage de films à la télévision, et j'étais un pseudo-ingénieur du son (je n'avais aucune formation technique, mais j'avais une sensibilité, une expérience de l'enregistrement).

[...]

J'ai fait "Presque Rien No. 1", je n'avais plus besoin d'être tellement radical. Il y a un paysage, un seul, et un temps donné, et la radicalité de la chose c'est que c'est un seul endroit et c'est un moment de la journée déterminée, le lever du jour. Ce qui est bien dans les "Presque Riens" ce sont des choses entendues qui se font remarquer: finalement il y a un moment où les sons se font remarquer plus que normal. Je me baladais toujours avec magnétophone et micro, et là j'étais dans un village de Dalmatie, et notre chambre donnait sur un tout petit port de pécheurs qui était pris dans des collines, ce port s'approfondissait dans des collines, ce qui donnait une qualité acoustique extraordinaire. C'était très silencieux. La nuit j'étais réveillé par le silence, ce silence qu'on oublie quand on habite en ville. J'ai entendu ce silence qui petit à petit commençait à se vêtir. C'était une merveille. J'ai commencé à enregistrer la nuit, toujours à la même heure quand je me réveillais–3h ou 4h du matin–et j'enregistrais jusqu'à environ 6h.. J'avais beaucoup de bandes!
Après j'ai trouvé un truc–j'ai choisi les sons qui se répétaient chaque matin.. Le premier pécheur qui passait toujours à la même heure, avec sa bicyclette.. La première poule, le premier âne, et puis ce camion qui partait à 6h du matin au grand port pour chercher des passagers du bateau qui arrive. Les événements imposés par la société. Après c'est le compositeur qui joue! (Sourire) Et moi, je suis libre, je joue avec la liberté.. Je pense que c'est bien d'avoir un concept très fort et puis de l'oublier. Parce que sinon on risque de passer à côté des choses. Il faut écouter l'intuition.
"Presque Rien No.2" était un dévoiement de "Presque Rien No.1". Il y a deux endroits, et c'est plutôt la nuit, le crépuscule plutôt que l'aurore. Ce qui me permettait de dormir le matin! (Rires) J'étais saisi par la nuit dans un petit village des Corbières qui s'appelle Tuchan, où la nuit je me baladais avec Brunhild et on faisait des enregistrements. La qualité de la nuit était extraordinaire–le bruit des routes au loin, les oiseaux, les grillons plus ou moins près, les cloches, les chiens...

Et un autre élément: votre voix là-dedans, comme commentaire…
Il y avait aussi l'idée du commentaire du promeneur/observateur, qui prend conscience de ce qu'il est en train d'enregistrer, et qui ajoute ses idées. Là-dedans il y a du vrai et du faux.. Il y a des choses qui, pour la logique dramaturgique, ont été ajoutées, il y a des commentaires qui sont faux! (Rires) Le fait de jouer avec la vérité et le mensonge est tout de même le concept, qui est venu après, quand je me suis rendu compte qu'il y avait un "Presque Rien" qui était en train de naître. Il y a des sons des instruments ajoutés aussi.. Le fait de mettre le promeneur à l'intérieur de la prise de son, de le reconnaître comme personne, m'a fait penser: "Maintenant il y a des sons naturels, mais je vais aussi en fabriquer, je vais introduire une transcription symbolique des sons qui me sont rentrés dans la tête et ensuite intervenir comme compositeur". Entrer dans une pratique de réalisation.

trop poli pour être vrai...

mercredi 20 février – 16h30

1ères impressions:

Un comédien marche en fond de scène, les cent pas, derrière un rideau de plastique blanc. Une marche un peu lourde, lente, rythmée, dans un couloir de lumière. Il parle comme un petit garçon. Il parle du travail à la chaîne.

Le même texte. Essai avec une douche au milieu du plateau, lumière froide, l'homme assis sur une chaise. Cut noir au bout de quelques phrases. Ça marche très bien. Comme une interview de cet ouvrier. Par contre, la suite du texte, dans la même disposition, c'est moins bien. Trop long, trop statique.
Nouvel essai avec plusieurs cut noir pendant le texte, et léger changement de position de Christophe à chaque noir. Bonne piste.

Ils sont tous sur scène: comédiens, metteuses en scène. À discuter d'un détail technique. Des silhouettes sombres dos à nous. Et puis, une voix parle. Une voix féminine, qui raconte les souffrances de l'abattoir. Et une musique. C'est beau, tout ce décalage: la musique, l'abattoir et les ombres sur une scène de théâtre. Plein de richesses. À leur insu.

La même voix, la même musique. Mais cette fois c'est la scène qui se déroule: une lumière rouge sur le rideau de plastique, et une silhouette féminine derrière, dont on devine la peau nue, des jambes, du visage. Une peau floue et déformée derrière le rideau, et rouge dans la lumière. La silhouette se déplace, passe à travers le rideau. Une femme se présente devant nous, dans la lumière blanche des néons. Elle porte une courte robe noire. Plus tard, elle dansera au sol, des gestes répétitifs et de plus en plus las.
Ça ne va pas. C'est beau, décalé par rapport à ce qu'on entend, à ce que la voix raconte, le travail à l'usine, le corps qui s'use, qui trinque, et ça ne marche pas... Trop esthétique, trop poli, le corps d'une danseuse en scène n'est certainement pas celui d'une ouvrière à l'usine, en tout cas pas dans les codes corporels qui lui sont familiers. Ça pourrait se rejoindre mais ça ne se rejoint pas. Ça ne rend pas la force et la violence de ce qui est dit.
Je m'étais déjà dit ça lors d'une performance dans une manufacture de textile, en Russie. On ne peut pas se permettre d'être esthétique dans un tel environnement. Sinon, l'art n'est pas à la hauteur. Il devient fade comparé à la vie. Un peu ridicule même.


Jeudi 21 février – 17h45

Pleins feux dans la salle. L'équipe se prépare pour filer une partie du spectacle. Du monde dans la salle, des témoins, une dizaine.

Ça commence par les bruits de l'usine. Forts. Les néons intermittents. Entrée public.
Puis, l'Homme assis, en silence, sous la douche. Longtemps. C'est une image forte.
Et puis, le texte arrive. On revoit les scènes travaillées la veille, et d'autres. La danse d'Edith au sol a évolué. Les gestes sont plus fatigués, plus lascifs. Du coup ça marche mieux.
Les transitions sont encore incertaines, la place des comédiens dans la lumière pas toujours juste (mais on en est qu'au 4 ème jour de travail). Tout ce qui touche à une chorégraphie commune a besoin d'être travaillé. Pour que ce ne soit pas petit, anecdotique ou illustratif, mais à la hauteur du texte qui décidément, est extrêmement fort et percutant.

Véronique H.

Leslie Kaplan, L'excès-l'usine

[extrait 1]

L’usine, la grande usine univers, celle qui respire pour vous.
Il n’y a pas d’autre air que ce qu’elle pompe, rejette.
On est dedans.

Tous l’espace est occupé : tout est devenu déchet. La peau, les dents, le regard.

On circule entre des parois informes. On croise des gens, des sandwichs, des bouteilles de coca, des instruments, du papier, des caisses, des vis. On bouge indéfiniment, sans temps. Ni début, ni fin. Les choses existent ensemble, simultanées.

A l’intérieur de l’usine, on fait sans arrêt.
On est dedans, dans la grande usine univers, celle qui respire pour vous.

[extrait 2]

La rue est ouverte sous le ciel de l’usine.
Rue douce et ouverte. Les pavés, tous les mêmes.

Les grilles de l’entrée sont très hautes, superbes.

Carcasse légère, désarticulée et pleine,
étant là, dans la cour, elle est là, l’usine.

Pièce, morceaux et vie, l’usine.
Et brique et tuile. Et entre et sort.
Et droite et gauche et brique et tuile et mou et gras et tourne et tourne et vie et vie et bois et clou et fer et fer et entre et sort et tourne et bruit.

Jamais un cri. L’usine.

Pièce morceaux et vie, l’usine, et fer et fer et vie et vie et brique et tuile et entre et sort et vie et vie et clou et clou.

On ne sait pas, on ne peut pas savoir.

[extrait 3]

On est dans l’atelier où il y a la chaîne.
On est assise. La chaîne va commencer.
Air palpable, mémoire blanche.
On est là, on est assise. Tabouret. Cartons.

Le plafond est très haut. Il y a des piliers.
L’atelier flotte un peu. Air épais, plafond haut.
La chaîne roule plate au milieu des cartons.

Les cartons sont faciles, ils se font avec les mains.
On a les mains ailleurs, on pense. La pensée est collante.
Autour, l’atelier.
Dans l’air épais, sous le plafond haut ; on fait des cartons, on pense.

La pensée ne sort pas, elle reste à l’intérieur.
Rien ne se défait, on pense.

Extraits: Kaplan Leslie, L'excès-l'usine, Paris: P.O.L, 1987.

lundi 25 février 2008

Monster Parade

Contes de Nicolas Bonneau

Un univers où se mêlent chroniques sociales et évènements fantastiques, ville et campagne, petites et grandes Humanités.

Vivre dans le secret

Texte de Jon Fosse
Mise en scène d’Etienne Pommeret

Chaque personne a un secret dans l’âme, dans le sens laïque du terme…

Makadam Kanibal

Cirque des curiosités
Avec Elodie Meissonnier et Jean Alexandre Ducq

Une petite cabane faite de bric à brac, un couple étrange en sort dans le bruit et la fumée. ces fakirs de l'absurde nous plongent dans l'intimité percée et troublante de leur amour cru.
Spectacle sauvage et ludique, cirque de rue « immondain ». Un spectacle pour les femmes à barbe, les lilliputiens et les sœurs siamoises.

Ce spectacle nécessite un avertissement au public.

Hippotheatron

Théâtre d'objets
Mise en scène de Julien Mellano et Alexandre Musset
Avec Julien Mellano

La trame de l’histoire est basée sur celle de « Freaks » (La monstrueuse Parade), un film de 1932 du réalisateur américain Tod Browning.Un présentateur, entre Monsieur Muscle et Monsieur Loyal, fumant un gros cigare et beugle dans un anglais très approximatif et sur-titré, et présente un cirque d’objet, où les freaks se côtoient, s’aiment, se trompent, se tuent.

Dancing Inside Out

Ballet Atlantique – Régine Chopinot
Avec Steven Cohen

Steven Cohen met en scène son corps pour interroger nos identités en portant la sienne à la limite (artiste africain, blanc, homosexuel et juif). Dérangeant, outrancier, hyper sexué, mais à haute teneur politique.

Cliquez ici pour voir un documentaire vidéo sur Steven Cohen...avec de très belles séquences.

Frustration

Auteur-témoin: Marion

répétition du 22-02-08

Trois jours déjà, mon cul sur ce fauteuil rouge, bien collée, je ne bouge pas.
Une ENVIE de
- courir sur le plateau
- danser
- dire "hé! si on essayait ça?"
- porter une chemise jaune à rayures
- monter là haut pour régler les lumières
- mettre les Ramones à fond
- annoncer "j'aimais bien les cafards..."
- toucher les rideaux blanc du décor
- faire Nosferatu
- trifouiller les boutons de la régie
- essayer de passer derrière le rideau en 3 secondes
- crier "Momo t'est prêt??"
DE CREER
La vie de témoin c'est frustrant.

marion

Au milieu du soleil, la tête en l'air

Auteur-témoin: Denis Reserbat-Plantey

Le 24 février 2008

La salle doit être sombre, avec ces néons qui pleurent une teinte d’ardoise sur les corps attentifs. Les mots cherchent leur ton, les consignes redressent un geste, une phrase, sans violence, dans un rire ou un compliment attentif. Anne déplie ses ailes de laine fine et grimpe sur le plateau, peut-être juste à l’instant. Je ne sais pas. Au milieu d’un bois de mimosas, à la pointe du banc de sable posé sur l’océan, plein sud, pensées vers le nord, salle close, plateau noir. La lumière est puissante, le grondement des rouleaux envahit tout le ciel jusqu’à l’immense dune, vers l’est, emmitouflée de brumes bleues.
La répétition, des gestes, des bruits, du travail, du spectacle, des vagues. En un instant toutes ces répétitions se mélangent, avec des contrastes puissants mais compatibles.
Ailleurs, dans le noir, l’homme assis se prépare à bouger sans voir. Pour la millième fois je m’approche de l’eau verte qui frémit en ce début de montant. Je marche doucement en pensant à son trajet, à pas comptés. Je compte aussi, pour éviter de dépasser les cinq secondes, les dix, je ne sais plus. Mais Anne a dit ; et l’homme des jours et des nuits aussi : pas plus de… !
Sur la table des festins, entre les piles, les cahiers, les claviers d’ordinateurs, des doigts véloces d’un jeune homme font surgir des sons, des bruits de vent, de gaz, de gouttes. Au bout de cette terre, au milieu de l’océan, je connais les bruits sur le bout de la langue et je pense à sa gourmandise lorsque les enceintes diffusent un nouveau mélange, une recette pour essayer, dans cette cuisine savante et raffinée, de trouver la saveur qui va tout défroisser. Ses micros seraient contents de traîner ici. Le vent a renoncé. En fond, le ronflement rythmé des rouleaux au loin, vers le Banc d’Arguin, vers les Passes Nord. Au près, le courant du montant qui clapote ses vagues fines sur les rebords sableux qu’il dévore sans cesse et réorganise à sa guise, malgré les efforts stériles des riverains planteurs de poteaux et de remblais.
Les mâchoires discrètes du courant craquètent en premier plan. Il serait content de cette répétition infiniment variée et constante. Je marche, un deux trois douze, et le sable chuinte en cadence. Les grands arbres jaunes abritent des piailleurs agités. Les bruits s’empilent. L’homme aux bruits serait content. Mais je n’ai rien emporté pour lui offrir ces petits vacarmes.
J’ai dans la tête les mots des monologues de l’une ou des autres. Je les connais par bribe et par cœur. Je les parle en silence, devant ce vide somptueux de riens en sable et en océan.
Ces phrases ne sont pas incongrues au milieu du soleil, la tête en l’air.
Dans la salle, au loin, c’est peut-être la pause, avec ses ajustements de mots et de silences.
Je regrette qu’aucune brume de tabac ne me vienne. Juste cette odeur violente des immenses mimosas en fleur, d’un jaune obscène qui domine tout, quelques jours, comme le rouge badigeonnant la silhouette d’une ouvrière, au travers de rubans plastiques du sas de l’usine à viande.
Ne plus se battre à coup de peurs, reparler ces mots crus qui partent de la viande et s’obstinent à se dire comme vient la marée. Répétitions qui aiguisent, dans le noir de la salle ou l’éclat printemps d’un océan têtu.

L'image 1

Francis Bacon, Trois figures dans une pièce (détail) (1964)

Francis Bacon, Etude de corps humain, (1949)

Francis Bacon, Figure aux morceaux de viande, (1954)


Auteur-témoin: Marion

Répétition du 21-02-08

Anne : « Abattoir est constitué de plusieurs mouvements, d'images comme dans une partition ».
Image 1 : un homme assis sur une chaise. Cet homme-là ne parle pas, il est juste assis, il nous regarde. Cette première image est forte. Le mot "image" convient bien, il semble que la réalité est figée comme dans une photo, une peinture...une peinture à la Francis Bacon, froide, dure.
En fait Abattoir ressemble un peu à l'oeuvre de Bacon, en moins violent peut-être. Des corps qui souffrent, déconstruits, usés par la répétition, par la vie.
Des corps qui à la fin s'effondrent et meurent. Finalement les deux parlent de bouts de viande, ceux qu'on déchiquette dans les abattoirs, l'humain autant que l'animal. (Francis Bacon ne s'appelle pas "BACON" pour rien...)

Il semble que cette première image c'est "l'étude du corps humain" de Bacon. Ce tableau représente un homme nu de dos qui semble se diriger derrière un rideau (le rideau d'Abattoir?), l'homme nu paraît nous dire : « suis-moi, je vais te montrer le corps », comme une entrée en matière de l'oeuvre du peintre. L'image 1 d'Abattoir est semblable, un homme assis sur une chaise de face devant un rideau, nous regarde. Une belle introduction qui annonce « je vais vous raconter l'humain », l'homme et son corps confronté à la violence de la machine, de l'infinie répétition.


marion