lundi 25 février 2008

Au milieu du soleil, la tête en l'air

Auteur-témoin: Denis Reserbat-Plantey

Le 24 février 2008

La salle doit être sombre, avec ces néons qui pleurent une teinte d’ardoise sur les corps attentifs. Les mots cherchent leur ton, les consignes redressent un geste, une phrase, sans violence, dans un rire ou un compliment attentif. Anne déplie ses ailes de laine fine et grimpe sur le plateau, peut-être juste à l’instant. Je ne sais pas. Au milieu d’un bois de mimosas, à la pointe du banc de sable posé sur l’océan, plein sud, pensées vers le nord, salle close, plateau noir. La lumière est puissante, le grondement des rouleaux envahit tout le ciel jusqu’à l’immense dune, vers l’est, emmitouflée de brumes bleues.
La répétition, des gestes, des bruits, du travail, du spectacle, des vagues. En un instant toutes ces répétitions se mélangent, avec des contrastes puissants mais compatibles.
Ailleurs, dans le noir, l’homme assis se prépare à bouger sans voir. Pour la millième fois je m’approche de l’eau verte qui frémit en ce début de montant. Je marche doucement en pensant à son trajet, à pas comptés. Je compte aussi, pour éviter de dépasser les cinq secondes, les dix, je ne sais plus. Mais Anne a dit ; et l’homme des jours et des nuits aussi : pas plus de… !
Sur la table des festins, entre les piles, les cahiers, les claviers d’ordinateurs, des doigts véloces d’un jeune homme font surgir des sons, des bruits de vent, de gaz, de gouttes. Au bout de cette terre, au milieu de l’océan, je connais les bruits sur le bout de la langue et je pense à sa gourmandise lorsque les enceintes diffusent un nouveau mélange, une recette pour essayer, dans cette cuisine savante et raffinée, de trouver la saveur qui va tout défroisser. Ses micros seraient contents de traîner ici. Le vent a renoncé. En fond, le ronflement rythmé des rouleaux au loin, vers le Banc d’Arguin, vers les Passes Nord. Au près, le courant du montant qui clapote ses vagues fines sur les rebords sableux qu’il dévore sans cesse et réorganise à sa guise, malgré les efforts stériles des riverains planteurs de poteaux et de remblais.
Les mâchoires discrètes du courant craquètent en premier plan. Il serait content de cette répétition infiniment variée et constante. Je marche, un deux trois douze, et le sable chuinte en cadence. Les grands arbres jaunes abritent des piailleurs agités. Les bruits s’empilent. L’homme aux bruits serait content. Mais je n’ai rien emporté pour lui offrir ces petits vacarmes.
J’ai dans la tête les mots des monologues de l’une ou des autres. Je les connais par bribe et par cœur. Je les parle en silence, devant ce vide somptueux de riens en sable et en océan.
Ces phrases ne sont pas incongrues au milieu du soleil, la tête en l’air.
Dans la salle, au loin, c’est peut-être la pause, avec ses ajustements de mots et de silences.
Je regrette qu’aucune brume de tabac ne me vienne. Juste cette odeur violente des immenses mimosas en fleur, d’un jaune obscène qui domine tout, quelques jours, comme le rouge badigeonnant la silhouette d’une ouvrière, au travers de rubans plastiques du sas de l’usine à viande.
Ne plus se battre à coup de peurs, reparler ces mots crus qui partent de la viande et s’obstinent à se dire comme vient la marée. Répétitions qui aiguisent, dans le noir de la salle ou l’éclat printemps d’un océan têtu.

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