mardi 26 février 2008

Luc Ferrari

Pour écouter, c'est tout en bas

né en 1929, mort en 2005. Ferrari était un compositeur français de musique contemporaine.

Pour cerner le personnage, voici quelques extraits intéressants trouvés dans une biographie:

Il s'interroge sur cette première phrase ; d'abord 1929. Il a écrit de nombreuses autobiographies dans lesquelles il falsifiait les dates. L'écriture le rend fou, il ne faut pas lui demander ça. Et comme il n'osait pas se rajeunir il se vieillissait. Il y a donc des tas de fausses dates qui courent, cela l'amusait à l'époque. Maintenant ça l'amuse beaucoup moins ! Ensuite, né à Paris. Il s'interroge : être né à Paris ! Il se demande ce qu'il aurait été s'il était né dans le petit village de son père, en Corse. Il se demande ce qu'il aurait été s'il était né à Marseille, la ville de sa mère. Il se demande ce qu'il aurait été s'il était né en Italie, le pays de ses ancêtres. Et pour cela, il n'a aucune réponse.

Luc Ferrari a réalisé des travaux qui s'écartent plus ou moins des préoccupations musicales pures, et dont certains font appel à une rencontre entre branches diverses de ce qui pourrait être un même arbre, le problème étant d'essayer d'exprimer, à travers des moyens différents, des idées, des sensations, des intuitions qui passent ; d'observer le quotidien dans toutes ses réalités, qu'elles soient sociales, psychologiques ou sentimentales. Ceci pouvant s'extérioriser sous forme de textes, d'écritures instrumentales, de compositions électroacoustiques, de reportages, de films, de spectacles, etc...

Une interview, réalisée en 1998, extraits:

Que faisiez vous pendant les événements de mai 1968? Vous participiez?
J'enregistrais un peu! (Rires) J'allais dans les discussions. Je ne manifestais pas parce que je n'aime pas la violence. Les gens qui jettent des cailloux d'un côté sur d'autres qui jettent des grenades lacrymogènes, ça me plaît pas trop, alors j'étais un petit peu en dehors. Mais j'assistais aux choses, de loin.

Pensiez-vous que ça allait changer la réception de la musique contemporaine?
Musicalement, est-ce que ça a changé des choses..? (Pause) Je pense que notre génération a précédé ce mouvement-là. Il n'est pas né tout seul–il est né d'une réflexion sociale/politique/philosophique que nous avions faites, nous. Cet espèce de désir fantastique de liberté s'exprimait déjà dans nos partitions avant, cette idée de casser les choses institutionnelles, de sortir des registres esthétiques donnés des choses conçues "pour être comme ça et pas autrement"… En fait, pour sortir des lois. Donc 68 a bénéficié de notre action.

"Music Promenade", avec ses bribes de discours politiques, de manifestations me semble être une sorte de commentaire sur cette époque. L'avez-vous conçu comme ça?
C'est un panorama de la société. L'idée du morceau est venue du fait que très tôt au sein de la musique concrète j'ai été un des premiers à prendre le magnétophone et à le sortir du studio, à me balader avec, à proposer l'usage de son enregistré à l'extérieur du studio, c'est à dire les sons de la vie. J'avais un Nagra, un de premiers appareils portables. J'ai commencé à récolter des sons sans avoir d'idée préconçue là-dedans, mais simplement la volonté d'introduire dans le discours musical un son qui à l'origine ne l'était pas. Comme je disais toute à l'heure, la musique concrète était basée sur une abstractisation [sic] du son, on ne voulait plus connaître l'origine, la causalité.. tandis que là je voulais qu'on reconnaisse la causalité, s'il s'agissait du bruit de la circulation c'était pas pour faire la musique mais c'était pour dire: ça c'est le bruit de la circulation. (Rires) Probablement l'influence de Cage. A l'époque je faisais partie d'une équipe de tournage de films à la télévision, et j'étais un pseudo-ingénieur du son (je n'avais aucune formation technique, mais j'avais une sensibilité, une expérience de l'enregistrement).

[...]

J'ai fait "Presque Rien No. 1", je n'avais plus besoin d'être tellement radical. Il y a un paysage, un seul, et un temps donné, et la radicalité de la chose c'est que c'est un seul endroit et c'est un moment de la journée déterminée, le lever du jour. Ce qui est bien dans les "Presque Riens" ce sont des choses entendues qui se font remarquer: finalement il y a un moment où les sons se font remarquer plus que normal. Je me baladais toujours avec magnétophone et micro, et là j'étais dans un village de Dalmatie, et notre chambre donnait sur un tout petit port de pécheurs qui était pris dans des collines, ce port s'approfondissait dans des collines, ce qui donnait une qualité acoustique extraordinaire. C'était très silencieux. La nuit j'étais réveillé par le silence, ce silence qu'on oublie quand on habite en ville. J'ai entendu ce silence qui petit à petit commençait à se vêtir. C'était une merveille. J'ai commencé à enregistrer la nuit, toujours à la même heure quand je me réveillais–3h ou 4h du matin–et j'enregistrais jusqu'à environ 6h.. J'avais beaucoup de bandes!
Après j'ai trouvé un truc–j'ai choisi les sons qui se répétaient chaque matin.. Le premier pécheur qui passait toujours à la même heure, avec sa bicyclette.. La première poule, le premier âne, et puis ce camion qui partait à 6h du matin au grand port pour chercher des passagers du bateau qui arrive. Les événements imposés par la société. Après c'est le compositeur qui joue! (Sourire) Et moi, je suis libre, je joue avec la liberté.. Je pense que c'est bien d'avoir un concept très fort et puis de l'oublier. Parce que sinon on risque de passer à côté des choses. Il faut écouter l'intuition.
"Presque Rien No.2" était un dévoiement de "Presque Rien No.1". Il y a deux endroits, et c'est plutôt la nuit, le crépuscule plutôt que l'aurore. Ce qui me permettait de dormir le matin! (Rires) J'étais saisi par la nuit dans un petit village des Corbières qui s'appelle Tuchan, où la nuit je me baladais avec Brunhild et on faisait des enregistrements. La qualité de la nuit était extraordinaire–le bruit des routes au loin, les oiseaux, les grillons plus ou moins près, les cloches, les chiens...

Et un autre élément: votre voix là-dedans, comme commentaire…
Il y avait aussi l'idée du commentaire du promeneur/observateur, qui prend conscience de ce qu'il est en train d'enregistrer, et qui ajoute ses idées. Là-dedans il y a du vrai et du faux.. Il y a des choses qui, pour la logique dramaturgique, ont été ajoutées, il y a des commentaires qui sont faux! (Rires) Le fait de jouer avec la vérité et le mensonge est tout de même le concept, qui est venu après, quand je me suis rendu compte qu'il y avait un "Presque Rien" qui était en train de naître. Il y a des sons des instruments ajoutés aussi.. Le fait de mettre le promeneur à l'intérieur de la prise de son, de le reconnaître comme personne, m'a fait penser: "Maintenant il y a des sons naturels, mais je vais aussi en fabriquer, je vais introduire une transcription symbolique des sons qui me sont rentrés dans la tête et ensuite intervenir comme compositeur". Entrer dans une pratique de réalisation.

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