mardi 26 février 2008

Leslie Kaplan, L'excès-l'usine

[extrait 1]

L’usine, la grande usine univers, celle qui respire pour vous.
Il n’y a pas d’autre air que ce qu’elle pompe, rejette.
On est dedans.

Tous l’espace est occupé : tout est devenu déchet. La peau, les dents, le regard.

On circule entre des parois informes. On croise des gens, des sandwichs, des bouteilles de coca, des instruments, du papier, des caisses, des vis. On bouge indéfiniment, sans temps. Ni début, ni fin. Les choses existent ensemble, simultanées.

A l’intérieur de l’usine, on fait sans arrêt.
On est dedans, dans la grande usine univers, celle qui respire pour vous.

[extrait 2]

La rue est ouverte sous le ciel de l’usine.
Rue douce et ouverte. Les pavés, tous les mêmes.

Les grilles de l’entrée sont très hautes, superbes.

Carcasse légère, désarticulée et pleine,
étant là, dans la cour, elle est là, l’usine.

Pièce, morceaux et vie, l’usine.
Et brique et tuile. Et entre et sort.
Et droite et gauche et brique et tuile et mou et gras et tourne et tourne et vie et vie et bois et clou et fer et fer et entre et sort et tourne et bruit.

Jamais un cri. L’usine.

Pièce morceaux et vie, l’usine, et fer et fer et vie et vie et brique et tuile et entre et sort et vie et vie et clou et clou.

On ne sait pas, on ne peut pas savoir.

[extrait 3]

On est dans l’atelier où il y a la chaîne.
On est assise. La chaîne va commencer.
Air palpable, mémoire blanche.
On est là, on est assise. Tabouret. Cartons.

Le plafond est très haut. Il y a des piliers.
L’atelier flotte un peu. Air épais, plafond haut.
La chaîne roule plate au milieu des cartons.

Les cartons sont faciles, ils se font avec les mains.
On a les mains ailleurs, on pense. La pensée est collante.
Autour, l’atelier.
Dans l’air épais, sous le plafond haut ; on fait des cartons, on pense.

La pensée ne sort pas, elle reste à l’intérieur.
Rien ne se défait, on pense.

Extraits: Kaplan Leslie, L'excès-l'usine, Paris: P.O.L, 1987.

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