jeudi 7 février 2008

Se transformer

Kafka (1883-1924)
La Métamorphose
Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s’aperçut qu’il avait un ventre brun en forme de voûte divisé par des nervures arquées. La couverture, à peine retenue par le sommet de cet édifice, était près de tomber complètement, et les pattes de Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses yeux.

Fantômes d'enfance

Isabel Allende
De amor y de sombra
Elle se souvint des histoires de fantômes que lui racontait Rosa quand elle était petite : le diable qui apparaissait dans le miroir pour effrayer les vaniteuses ; l’homme noir qui traînait un sac rempli de créatures enfermées ; les chiens avec des écailles de crocodile sur le dos et des sabots de bouc ; les hommes à deux têtes qui se tapissaient dans les coins pour attraper les cheveux des filles qui dorment avec les mains sous les draps. Des histoires terrifiantes à lui donner des cauchemars, mais qui la fascinaient tant qu’elle ne pouvait s’empêcher de les écouter et de les réclamer à Rosa alors que, tremblante de peur, elle voulait se boucher les oreilles et fermer les yeux, mais en même temps mourait d’envie de connaître les moindres détails.

J'ai peur de moi!

Guy de Maupassant (1850-1893)
Lui ?
Je n’ai pas peur d’un danger. Un homme entrerait, je le tuerais sans frissonner. Je n’ai pas peur des revenants ; je ne crois pas au surnaturel. Je n’ai pas peur des morts ; je crois à l’anéantissement définitif de chaque être qui disparaît !
Alors !... Oui, alors !...Eh bien ! j’ai peur de moi ! j’ai peur de la peur ; peur des spasmes de mon esprit qui s’affole, peur de cette horrible sensation de la terreur incompréhensible. […]
J’ai peur des murs, des meubles, des objets familiers qui s’animent, pour moi, d’une sorte de vie animale. J’ai peur surtout du trouble horrible de ma pensée, de ma raison qui s’échappe brouillée, dispersée dans une mystérieuse et invisible angoisse.

Autour de... Vivre dans le secret

Des lèvres grosses

Giambattista Della Porta (1535-1615)
La Physionomie humaine
Selon le sentiment d’Aristote écrivant à Alexandre, les lèvres grosses dénotent l’homme fou : Polémon dit en la fin de son Livre, que les grandes lèvres marquent l’homme insensé : Conciliator tient que ceux qui les ont grandes, sont fous et hébétés ; à cause de ces fortes lèvres certains hommes sont appelés lévrus, lippus, gens aux grandes lippes. […]
Ceux-là sont tenus pour fous, qui ont les lèvres grosses, quand celle du haut est plus dehors que celle du bas, à la ressemblance des ânes et des singes, du naturel desquels ils tiennent, car à ces deux espèces d’animaux la lèvre du haut est plus éminente que celle du bas.

Texte en écho au spectacle Dancing Inside Out

Jocelyn Robert

Jocelyn Robert travaille en art audio, art informatique, performance, installation, vidéo et écriture. Ses travaux ont été montrés au Canada, aux États-Unis, au Mexique, au Chili, en Australie et en Europe. Il a publié une dizaine de cds en solo et a participé à plus d'une vingtaine par d'autres artistes, a performé aussi bien en solo qu'avec Diane Landry, Laetitia Sonami et Bruit TTV, et a réalisé plusieurs installations en solo ou avec des collaborateurs tels Emile Morin et Daniel Jolliffe. En 1993, il a fondé le centre Avatar, à Québec, spécialisé en art audio et art électronique ainsi qu’OHM éditions. Son installation vidéo-informatique L'Invention des Animaux a remporté en 2002 le Premier Prix ex aequo catégorie Nouvelle Image de la Transmediale, à Berlin. Il est intéressé par la banalytique, par l'espace entre les riens, par une certaine épaisseur du temps…

Les travaux de Jocelyn Robert sont très eclectiques. Un journaliste qui commentait certains de ses travaux a commencé son article en disant: "La seule chose qu'ont en commun ces trois disques, c'est qu'ils ont le même nom sur la pochette"...

Ses oeuvres, notamment sonores, seront présentées pendant le festival. Vous pouvez les écouter ici et

mercredi 6 février 2008

L'inquiétante étrangeté

Sigmund Freud (1856-1939)
L’Inquiétante Etrangeté
Tel est le domaine de l’ « inquiétante étrangeté ». Il ne fait pas de doute qu’il ressortit de l’effrayant, à ce qui suscite de l’angoisse et de l’épouvante, et il n’est pas moins certain que ce mot n’est pas toujours employé dans un sens qu’on puisse déterminer avec précision, de sorte que, la plupart du temps, il coïncide tout bonnement avec ce qui suscite l’angoisse en général. […] l’inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier. […]
Le mot allemand unheimlich, est manifestement l’antonyme de heimlich, heimisch, (du pays), vertraut (familier), et l’on est tenté d’en conclure qu’une chose est effrayante justement pour la raison qu’elle n’est pas connue ni familière. Mais il est évident que n’est pas effrayant tout ce qui est nouveau et non familier ; la relation n’est pas réversible. On peut seulement dire que ce qui a un caractère de nouveauté peut facilement devenir effrayant et étrangement inquiétant ; parmi les choses revêtant un caractère de nouveauté, quelques unes sont effrayantes, mais certainement pas toutes. Au nouveau, au non-familier doit d’abord s’ajouter quelque chose, pour qu’il devienne étrangement inquiétant.

Autour de... Vivre dans le secret

Causes des monstres

Ambroise Paré (1510-1590)
Des monstres et prodiges
Les causes des monstres sont plusieurs. La première est la gloire de Dieu. La seconde, son ire. La troisième, la trop grande quantité de semence. La quatrième, la trop petite quantité. La cinquième, l’imagination. La sixième, l’angustie ou petitesse de la matrice. La septième, l’assiette indécente de la mère, comme, estant grosse, s’est tenue trop longtemps assise les cuisses croisées, ou serrées contre le ventre. La huitième, par cheute, ou coup donnés contre le ventre de la mère estant grosse d’enfant. La neuvième, par maladies héréditaires, ou accidentales. La dixième, par pourriture ou corruption de la semence. L’onzième, par mixtion, ou meslange de semence. La douzième, par l’artifice des meschants belistres de l’ostière. La treizième, par les Démons ou Diables.

Autour de...Hippotheatron

Qu'est ce qu'un entresort?

Les entresorts étaient autrefois ces baraques foraines où le spectacle était permanent, où le public entrait d'un côté pour ressortir de l'autre, pour contempler les phénomènes, les divers monstres de foire, les attrape-nigauds et autres puces savantes.

mardi 5 février 2008

Un abattoir c'est d'abord une usine...

Abattoir est un spectacle d'Anne Théron et de Claire Servant, en création pour Court Toujours 2008. A l'origine de ce spectacle, la lecture du scénario de documentaire de Manuela Frésil, basé sur la vie des ouvriers qui travaillent dans les grands abattoirs du nord ouest de la France.
Sur scène, la parole de deux hommes et une femme, témoignant des conditions de travail dans cette usine où les cadences, les gestes, l'horreur usent les ouvriers jusqu'à la maladie.

"Un abattoir c'est d'abord une usine.
C'est une première étrangeté.
Pour nous qui n'y travaillons pas, l'abattoir n'est pas une usine, c'est un lieu loin de nous, où on met à mort les bêtes. Mais pour tous ceux qui y travaillent un abattoir c'est une usine, une usine qui produit de la viande.
Trancher la viande, percer la viande, retirer l'os, pousser la viande, trier la viande, refaire le même geste une fois toutes les secondes, dans une atmosphère à deux degrés, et c'est les articulations, les tendons, les muscles des ouvriers qui lâchent. Les corps des animaux sont démembrés par la chaîne de production, celui des hommes aussi: leurs articulations, leurs os, leurs tendons, leurs muscles s'usent et se détériorent."
Anne Théron, novembre 2007