vendredi 6 juin 2008

It's not a wonderful world

Il n’y a rien d’autre que les corps. Ceux des bêtes d’abord, celles qui meurent, minute après minute. Et puis ceux des hommes, les témoins, les acteurs de cette cadence mortuaire. Abattoir n’est pas un spectacle, au sens noble et orgueilleux du terme. De fait, ce ne sont pas les lumières de la salle qui s’éteignent les premières mais celles de la scène, qui se mettent à faiblir, à clignoter, au rythme des sons d’une usine. Agression sonore. Puis viennent les paroles. Les mots sont dits, sans effet, juste là pour décrire une réalité, dont aucune reproduction matérielle n’est possible. Les scènes s’enchaînent. Le lien reste. C’est l’histoire des ces hommes et femmes que la vie a jeté dans la gueule de l’abattoir. Les victimes de la cadence. Aux mots s’ajoutent les lumières. Le blanc cru d’une poursuite projeté sur le visage d’un témoin. Ses yeux semblent absents, les ombres lui donnent un air de mort. Et il s’agit bien de cela. Les employés d’un abattoir meurent à petit feu, victimes de la mécanisation de leur travail. Ils subissent. Tout. Leurs chefs, leur devoir de produire toujours plus et toujours plus vite, leur besoin d’argent, et la vie qui peu à peu les aliène et les tient prisonnier. Et puis parfois dans cet univers jaillit la lumière rouge, qui nous rappelle que le sang, si il vit encore dans les veines des travailleurs c’est qu’il jaillit des cadavres d’animaux qu’ils dépècent. Les mots jaillissent donc mais les corps des trois acteurs parlent également d’eux-même. La douleur est présente. Cette douleur qui terrasse les ouvriers, à force de répéter encore et toujours le même geste. Mais Abattoir n’est jamais dans l’exagération ou le misérabilisme. Si le témoignage est dur, la création théâtrale s’en fait la porte-parole et non la dénonciatrice critique. Le spectateur est mis en face d’un univers qui lui est inconnu, et on ne lui dit pas comment l’appréhender. C’est chacun qui écoute, ressent, comprend ou s’offusque. Mais justement, la qualité d’abattoir est de ne pas juger. A chaque spectateur de le faire pour soi, si bon lui semble et si il en ressent l’envie ou le besoin.

Sarah Maquet, atelier d'écriture journalistique de Court Toujours

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