mercredi 20 février 2008

J'ai envie de retourner la scène pour voir si la neige va tomber...

Auteur-témoin: Denis Reserbat-Plantey

répétition du 19-02-08

Travailler la journée.
Se hâter pour rejoindre le clan des épais qui dans le noir parlent, bougent et dansent, éclairent et bruitent, rient et se taisent en goûtant les silences.

Lorsque j’arrive, l’homme assis parle. De ferraille qui traverse la cervelle. Il y a toujours des réactions chez les bêtes…Le parleur ne bouge presque pas, sculpté par une lumière qui s’abat sur lui, sale et froide. La pénombre a des talents cachés. Edith doit montrer ses bras, J’en ai besoin dit l’une. Claire rôde dans le noir, déroulant de ses mains le corps des danseurs, montrant, glissante des esquisses de gestes, lentement essayés.
La table de festin s’est agrandie de deux éléments, couverts de fatras, entre gâteaux et liasses de textes. Les épais se parlent entre eux de mots et de corps.
Je galope avec le corps si le paragraphe est long...je me sers de mon regard…pour poser mes mains et trouver un interlocuteur. Claire approuve et danse du bout des doigts, décrivant l’espace, ce qui doit l’occuper. On essaye, on tente ces détails là. Les chemins, il faut essayer les chemins, précis dans l’improbable vide de cette scène en boîte noire, bordée de bandes plastiques que la pause a calmé.
Bruits : ça respire de très près. Un micro est ouvert. Les sons s’étagent sans peine. La ventilation assure la continuité du temps, en fond discret.
Le texte dit. Encore et de plus en plus précis, dense, les corps dansent aussi rajoutant leurs bruits de bougés lents à la voix du parleur. Les épais ont repris leur envol sous les yeux d’Anne et de Claire, eau de Javel, qui est la plus forte ! ?
On va garder ça. Et le rouge surgit, il a le temps de venir pour tout le monde…dix secondes… que tout le monde regarde le rouge ! Avance un peu, c’est compliqué. L’homme compte ses pas, la femme devient noire contre le plastique soudain gris. Les bruits assomment les corps présents, fausse alerte d’un curseur impatient, les micros se moquent des perceptions de la salle. Le rouge est démis, comme une épaule, une articulation. Anne et Claire parlent du noir qui vient. Avec l’homme du haut, celui du spectre solaire, qui fait à la commande le jour froid ou la nuit, les rouges ventrus de gélatines à numéros savants.
Edith réchauffe ses avant-bras dans un vacarme de chairs frottées. Le micro est ouvert, la salle frissonne avec elle. C’est doux.
On attend le signal, on garde les émotions, pour les polir plus tard, les tourner d’une gouge invisible. L’homme assis clignote un peu. Les hommes, la femme. Elle passe au travers des lambeaux. Je suis le bouche trou, c’est temporaire, pour longtemps. L’obscénité rouge et violente s’accorde à cette voix qui balance des mots de vaches qui meurent debout, de têtes dévastées, de corps qui souffrent à force de répéter.
Vous étiez très ensemble, et là on n’y arrive plus. Anne veille et relâche. Claire fait un colloque avec les autres épais, au milieu du plateau. Comment sortir de cette herse plastique, la traverser en jouant sur le mouvement, les lumières et la transparence des ces bandes suspendues. L’instant est grave, léger comme un quartier de bœuf. Les femmes élaborent et discutent. Les hommes mangent des friandises.
Bruits de boulons et de cintres, au ciel, dans le noir l’homme lumière est parti régler un soleil comme Anne le voulait. Edith est dans sa boule de lumière, gris froid. J’ai envie de retourner la scène pour voir si de la neige va tomber, comme dans ces figurines souvenir… Mais personne ne va renverser le monde.
Les mots en play-back changent les corps. La confusion s’installe, elle est à renchérir pour augmenter les épaisseurs…
Des corps assis, repérés, aux postes marqués au sol, équipés et scotchés, éclairés, fournis en mots écrits et en souffles diffusés, réchauffés par les demandes et les conseils, la paume des bras qui montre, redresse et vérifie.
Oui, il faut commencer à bouger dans le noir …L’enfant à naître aussi bougera dans le noir.
Une dernière fois, encore avant que la fatigue soit trop grande ?
Je m’éclipse, pour les laisser seuls, les épais et leurs acolytes. Entre eux, c’est bien ainsi.

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