mercredi 20 février 2008

...Qui parle et d'où ça vient?

Auteur-témoin: Denis Reserbat-Plantey

Première journée de répétition / 18-02-08

Le hors champ est visible, l’arrière plan encombré, gommé par des rideaux en bandes larges de plastique translucide. Les micros crachent des bruits de corps frottés, des respirations, quelques mots bien appris, ordinaires et féroces, refuges des douleurs. Des danseurs déambulent. Ils bruitent leurs passages entre les lourdes bandes que la lumière agite. Récits, récits d’une ouvrière…
Pleurer à fond perdu, comme la tête s’étourdit en virevoltes. Bloquée, surprise, bloque ta peur au coin de ton épaule. Mal. Les ombres démantibulent ce noir qui change sous les doigts d’un technicien, au gré de la voix tournant ses colères et ses droits.
Les ombres rampent, les gris bougent, tassent les corps, quasi endormis dans une geste lente. Le texte s’échappe un peu. Anne remorque les mots envolés. Ce sera pour plus tard : ils couleront métalliques, ou pas, avec le reste.
Garder l’état provisoire de ce qui advient, sur le champ. Essayer des bruits matières et des chuintements, déformations de tout, pour croiser corps et mots, conseils et questions. Montre moi ce que tu veux. Tombe doucement, plus doucement, lentement. Le bois résonne. Rampe la cadence, grognent les micros, restent les souffles, affichés dans l’espace, en premier, et intimes, saturant l’espace de la scène. Tombez les corps, ensemble, petits insectes rieurs, swinguez 1 2 et 3 dans la pénombre ardoise. Il faut savoir par où on passe. La main, la main est une brûlure…qui travaille dur dans la tête…dormir, fini, les fourmis sont là. Les petits cafards qui tapent et retapent, avec des mains qui claquent et Claire qui reprend.
J’écris la chronique du tant pis, le mien. Les bouches soufflent. Musique !
Anne rassemble, Claire montre et pointe.
La pause laisse vide la salle et la table de répétition, site d’un festin étrange suspendu dix minutes. La table est pleine de fils et d’engins, d’écrans et de papiers, de sparadrap, de carnets, de piles, de verres et de boutons éléctriques marqués de codes savants.
Fin de la pause. Droit au noir pour tous, malgré l’obscène lampe rouge d’un équipement de secours, les flèches bleues d’une issue. Une odeur de tabac arrive avec l’air frais d’une issue entrouverte.
Depuis le plateau, la scène, la salle est un écran seulement organisé par les rangées de fauteuils. Un homme danseur est seul, assis, en train de grignoter un biscuit.
Un rire arrive des coulisses. La pause s’achève.
Une piétinade précède le retour des gens épais. Les témoins que nous essayons d’être sont plats comme des décors de Méliès. Nous les témoins assis. Les épais sont graciles et saillants dans le travail, par le jeu de leur hésitation précise, de plus en plus. Des bruitages découpent l’air noir. Des lames coupent et crissent. Des chairs, des cheveux, avec des ronds de lumière qui se chassent en tremblant. J’ai envie du retour des épais dans des jaillissements ralentis juste en grincements, dans des jets immobiles de vacarmes soyeux.
Une femme parle, au loin, derrière le translucide. Comment voir et aller plus loin ? Trop loin ? Tuer des vaches, dire des mots, toutes les minutes pour respirer et laisser la souffrance dans les soupirs d’ouvrières usées….
Ombres lourdes ou délicates, grasses et flouées, empreintes sur des rideaux de douche, ou teintes à la Degas pour danseuse immobile. Viande emballée dans un reflet plastique que la lumière agite doucement en lambeaux ternes et figures vivaces.

On recherche le pivot, l’aspect du corps, le profil d’Edith, durant sa tirade. Qui parle et d’où ça vient ? Semer le doute et décaler image et son. Le montage repointe son museau : le cinéma n’est jamais loin du fil de l’image en train de se faire.. Les gestes sont envoyés vers le public, comme on teste un costume, un ton de réplique. Les épais sont tous en scène, subtilement aplatis derrière l’écran terne. Ils se parlent, rient et se remarquent. Nous nous taisons, ravis.
Anne veut des quarts d’heures, pour les costumes, la lumière. Essayer, voir et reprendre.
Claire marche doucement au dessus du sol, à quelques centimètres.
Ca parle d’horaires, pour essayer demain, plus avant.
C’est la nuit qui vient tout ranger derrière nos yeux.

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