jeudi 21 février 2008

La scène rouge

Auteur-témoin: Denis Reserbat-Plantey

répétition du 20-02-08

Les parties du spectacle se nomment. Il y a la « scène rouge », l’obscène disait-elle hier…
« L’homme assis » énumère et raconte, décrit et met à plat, désosse sa vie d’usine, distend les jointures de cette carcasse complexe de lieux divers où les bruits et les cadences oppressent.
Aujourd’hui semble être le jour des bruits, des sons, de leurs places. Comment flotter sans faire craquer le plancher et s’échapper dans le noir sans bruit entre deux images ? Ca craque dans le noir. Soit voler soit jouer ces pas. Le colloque sur scène s’organise. Des papotages . entre épais qui nous échappent, sauf peut-être au rusé qui a mis un micro zoom sur sa caméra.
Alors que décident-ils ? Moquette, carpette, pieds nus, volètent sans bruits d’ailes, fantômes aériens ?...Bruits de pas ou pas ? Les silences s’échangent et tardent, tendent l’air froid qui s’insinue depuis la coulisse. Ombres grises, on tousse un peu. Histoires de cuisine souligne-t-elle. Anne souligne, se déplie et revient, tourne et s’entortille dans un châle qui renferme son doute de dernière minute, sa certitude encore tiède. Qu’elle emporte contre elle depuis la table du festin jusqu’au plateau, qu’elle agite dans la lumière revenue. Les manettes, les lumières et le foutoir de la table du festin s’enrichissent de chocolat, de bouteilles, d’ordinateurs nouveaux. Anne se déplie et Claire file, pour proposer un geste, reprendre une posture
Le temps est suspendu parfois à ces échanges inaudibles, dans un brouillon furtif qui se fait là, devant nous entre ces gens épais.
Pendant les négociations, l’homme assis continue ses voyages pour tenter des pas moins lourds, évacuer la trace du bruit, inlassablement. La bande son se lâche. Marie Parle dans l’air mais malgré Edith qui écoute, dans ce rassemblement de plateau qui continue le débat mystérieux.
Sur la scène là-bas, les épais nous évacuent gentiment, sans y penser, et nous restons fixés dans nos fauteuils, images d’un public à venir.
Fini le désordre apparent ! Le chrono est sorti, les chiffres du temps vont parler, net et ferme. On y va, on attend, les piles des micros…Repères encore, au sol, dans l’air, du temps est en trop. Calons ces décalages.
L’extérieur s’impose soudain, par la voix d’un enfant qui apaisera la tension de sa mère attendant des nouvelles. Claire redonne le LA aux cafards qui doivent ramper en cadence et dos plat et sans trop de fracas. Aujourd’hui c’est le bruit.
La fatigue descend doucement. Le travail, les reprises, commencent à faire mal aux jointures. Le sujet même du texte du spectacle s’impose dans la viande des corps.
Image 5. Les cafards, le rythme, le conducteur, le détail bien aligné, la transition invisible car
cent fois répétée. Répéter, comme l’enfant le fait pour apprendre à parler, à faire et à comprendre, à mettre des mots sur les furies et les passions du monde. Couper, appuyer, user, répéter. Le cuir devient dur et pierre ! Le couteau ripe et dévie. Tout s’égare tandis que chez l’enfant la répétition construit et aligne vie à vie, mots à langues et gestes aux regards.
Le son, encore le son qui trouble et divise autour de la table des festins et ses lumières bleues. Bruit contre parole ? Quel niveau ?
La danseuse est fatiguée, le texte a perdu quelques mots et gagné des accents, de l’épaisseur.
Les repères collés au sol, aident et secourent. Comme le thé et la friandise chipée sur la table, lors d’un va et vient entre salle et plateau. Claire, d’un doigt précis, dégoupille le thermos de thé qui produit un son de hoquet soyeux et métallique. Claire aux doigts précis, qui dansent et dégoupillent le thé.
Serge repart au front des mots, reparle et affine, ferme ses phrases, pose des silences comme les dalles noires d’un pavage savant. Anne le suit, précise.Le temps est passé pour ce soir. Par couches successives, cent douze et dix fois, par morceaux, le déroulé se met en place, prend déjà son temps, son bruit, ses gestes.
Claire précise la nonchalance, sa pratique et sa raison, décline les clés de l’architecture profonde d’un balancé de jambe. Encore des essais de son, entre bruit de gaz et gouttes d’eau, jazz et Sex-pistols, bruissements et grattés chuintant des corps qui rampent. Des bruits de l’ailleurs, hors salle et hors propos, ce soir, pour faire assez doucement irruption et gommer la fatigue.
Un courant d’air amène de la nuit un vent de tabac blond.

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