lundi 31 mars 2008

L'os doit être à blanc

Un mois est passé, exactement.
Les gestes sont aussi douloureux et je retrouve mes articulations douloureuses. L’habitude est prise : griffe, mort, saigne, la viande secouée de spasmes et de mots ne faiblit pas. Mais le mal est là encore, courbature sans queue ni tête, mélodie intime de la souffrance comme mode de vie, entre répétition et rythmes précis.
L’os doit être à blanc, la viande restera à la viande.
Esther a froid et sa voix monte les marches de la violence accumulée, jusqu’à l’os. Les deux autres épais ont leur texte non seulement dans la bouche mais aussi dans le corps, sans apprêt. Claire a sûrement tracé et poli chaque recoin, avec ses consignes en forme de questions. On sent que le cuir des mots colle au squelette du texte et des muscles, gaine bien ajustée qui se voit à peine. Encore quelques heures et rien ne sera visible de l’artifice comédien.
L’épure a fonctionné, le filage terminé réouvre les discussions. Les épais racontent leur voyage de trente minutes, tentant de dire encore, de vérifier, d’affiner le récit de leurs sensations, de commenter l’effet des consignes enfin validées par l’action. Au milieu des cigarettes qui se préparent, quelques rires et des colloques à petits groupes. Les spectateurs sont un peu nombreux ce soir, un peu plus que les témoins habituels. Il y aura du vin à boire.
Un mois plus tard, après du temps et du travail, Abattoir sent le dur encore mou par endroits, avec de petites flopés d’à peu près et des justesses en place, des presque sûrs. Le son se plie dans les bonnes encoches, rugit à propos, s’envole à temps. Nos regards de mouettes alignées dans les fauteuils du futur public sont pour ceux qui parlent, puis se parlent une fois le filage terminé. La grande cage blême des plastiques pendus a toujours sa teinte de méduse. En fait l’exacte couleur de membranes luisantes et fine de l’envers de la peau d’un lapin que l’on écorche. L’exacte couleur.
Et la pénombre douce qui gomme et arrondit allume des envies dans les mots échangés. Le théâtre s’éteint un peu jusqu’ à demain, quand les épais viendront rallumer les noirceurs du plateau en mille mots croisés, ordinaires révoltes, répétées, attendries.

Auteur-témoin: Denis Reserbat-Plantey

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